La Chine et Nous Après la Covid
Pr Steven Ekovich versus Pr Emmanuel Lincot
Modérateur: Gil Mihaely PhD
Les évènements récents impliquant la République Populaire de Chine et les Etats-Unis, comme par exemple l’effondrement imminent de la compagnie chinoise “Evergrande”, ainsi que l’accord entre les USA et l’Australie concernant les sous-marins nucléaires, nous mènent à nous intéresser aux interactions de ces deux nations sur la scène internationale et plus particulièrement à la région Indo-Pacifique.
Le but de ce débat est de comprendre la manière dont chacune de ces grandes puissances se perçoit. D’appréhender leurs objectifs, intérêts nationaux, mais aussi comment elles conçoivent leur rapport avec leur rivale.
Les Etats-Unis et la Chine, une rivalité aux tensions croissantes dans le Pacifique.
La rivalité sino-américaine, qui implique deux puissances globales, se focalise toutefois sur l’Extrême-Orient. Région où se concentre une grande majorité des effectifs armés de ces deux pays. La géographie particulière de cette région est un facteur contraignant pour les deux protagonistes. La Chine cherche à briser ce carcan géographique et diplomatique qu’est la “First Island Chain”, région comprenant l’archipel japonais, Taiwan, l’extrémité nord des Philippines et se terminant par Bornéo et les îles Spratly.
Le professeur Graham Allison définit cette réalité comme étant un piège de Thucydide. Cela fait référence à un historien grec ayant jugé la guerre du Péloponnèse, conflit ayant opposé Sparte à Athènes, comme inévitable. La peur de la puissance établie menant irrémédiablement au conflit. Cette situation passée étant comparable à la situation que les Etats-Unis, puissance établie, et la Chine, puissance continuant de gagner en importance connaissent. Au cours des cinq derniers siècles, seize puissances montantes ont défié le statu quo menant douze fois à la guerre. Ces situations critiques ne se résolvant de manière pacifique que quatre fois, bien que trois de ces itérations soientiot parmi les plus récentes.
Ces tensions entre les Etats-Unis et la Chine culminent en des points chauds géopolitiques comme la mer de Chine méridionale que l’Empire Céleste cherche à transformer en mer intérieure. Cela mène à la formation de goulots d’étranglements tels que les détroits de Malacca et de Formose, que les deux nations cherchent à contrôler. Les îles Diàoyú-Senkaku représentent un autre point chaud entre la Chine et le Japon symbolisant les tensions en mer de Chine orientale. Taiwan quant à lui, lie ces deux zones de tensions et est aussi un point chaud. De l’autre côté du territoire chinois, la frontière avec l’Inde comprenant l’Aksai Chin et la ligne McMahon, démontre les ambitions chinoises de ce côté du pays.
La Chine, dans un effort de renverser le statu quo, approche ces zones par le fait accompli et la stratégie du « saucisson ». C’est-à-dire une stratégie utilisant à la fois le « soft » et le « hard » power, usant de moyens tels que la coercition économique et diplomatique dans le but de faire des avancées territoriales mineures sans toutefois permettre à l’opposition d’établir un casus belli.
Les deux nations, malgré leurs postures belliqueuses, ne souhaitent pas mener une guerre à grande échelle. En effet, grâce aux moyens d’armements et aux doctrines militaires modernes, la guerre serait fort coûteuse. Le conflit se focalise plutôt dans ces points chauds, avec des moyens et des objectifs limités. Malgré tout, les propos qui sont tenus par Alisson démontrent que c’est la présence d’un troisième parti qui encourage les deux factions opposées à s’engager dans un conflit ouvert. Cette constatation démontre bel et bien que la situation peut très bien échapper au contrôle de ces deux acteurs majeurs. Cela peut passer par des actions d’un autre protagoniste comme Taiwan, le Japon ou la Corée du Nord.
Les récents accords entre l’Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni (AUSKUS) impliquant l’octroi de sous-marins à propulsion nucléaire pour la Royal Australian Navy ont suscité l’ire de plusieurs nations. Ces accords faits au détriment de la France (avec qui un contrat pour des sous-marins avait été signé) ont créé une nouvelle source de tensions dans la région.
La Chine, un acteur majeur confirmé mais fragilisé dans un monde d’après-COVID
La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de COVID19 a permis à la Chine de montrer qu’elle jouait un rôle indispensable face à ce défi global. En effet, la majeure partie du matériel permettant de maintenir les mesures sanitaires comme les masques ou le matériel médical sont fabriqués en territoire chinois.
Pourtant cette période d’après-Covid semble s’annoncer difficile pour l’Empire du milieu qui voit son économie se fragiliser. Des événements comme la potentielle faillite du deuxième plus grand promoteur immobilier du pays “Evergrande”, sont symptomatiques.
Additionnellement, les grands projets tels que la formation d’un axe Chine- Centre Asie-Pakistan-Iran-Turquie et l’édification de la « grande muraille de sable » cherchant à contourner la barrière à la fois géographique et politique qui a été établie par les Etats-Unis et ses alliés du Pacifique, s’avèrent être coûteux et non rentables. Ces divers problèmes attirent les critiques à l’égard du dirigeant chinois Xi Jinping, qui avec ses déclarations de soutien à l’Afghanistan après le départ des Etats-Unis adopte une approche qui devient de moins en moins populaire auprès de ses compatriotes. Outre cela, le vingtième congrès du parti communiste chinois approche, signifiant un changement au niveau de la direction chinoise ou l’annonce d’un troisième mandat pour Xi Jinping. Cela serait sans précédent dans l’histoire récente de la République Populaire de Chine et impliquerait très certainement un prolongement à vie de ce mandat.
Ces troubles à la fois économiques et politiques mènent à l’érosion de l’apolitisme de la société chinoise. Apolitisme présent depuis les évènements qui se déroulèrent en 1989 et qui ont marqué une division sociétale nette. Cette division entre les hauts placés de la société chinoise qui s’occupent de la politique du pays et le peuple qui s’occupe des affaires et du commerce commence à disparaître. Phénomène qui fragiliserait l’emprise de la dictature chinoise sur son peuple.
Concernant l’aspect militaire, en dépit de ses effectifs impressionnants, l’Armée Populaire de la Libération présente un bilan mitigé en termes de résultats depuis la fin de la Guerre de Corée (1950-1953). Ne connaissant que certains succès contre des adversaires peu redoutables (guerre sino-indienne de 1962) ou des revers (guerre sino-vietnamienne de 1979). En cas de conflit, les forces armées chinoises risquent de peu bénéficier de l’aide de ses alliés comme le Pakistan et la République Populaire Démocratique de Corée. Ils sont à la fois imprévisibles et possèdent des moyens militaires plus limités. Du côté de l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S), la Russie semble être un partenaire stratégique possédant les moyens de ses ambitions mais entretient tout de même une relation houleuse avec son homologue chinois.
De ce fait, la Chine adopte une approche asymétrique dans le monde réel et virtuel, ce qui augmente le risque de prolifération de conflits à basse intensité. Cette approche peut se définir en tant que la réponse du faible au fort mais la perpétuelle croissance militaire chinoise laisse supposer à un éventuel changement de paradigme.
Étant donné les interdépendances économiques qui existent entre les nations, le monde actuel ne peut être comparé au monde de la guerre froide. La guerre ouverte entre les grandes puissances du Pacifique est une possibilité peu avantageuse pour l’ensemble des nations du monde, quelle qu’en soit l’issue. Cela n’empêche tout de même pas un besoin d`une prise de position moins naïve envers la Chine par les pays d`Europe occidentale. En effet, la Chine pourrait s’en prendre aux autres nations de la région en dépit de cette interdépendance. L’affaire des sous-marins démontre le phénomène de « découplage » qui a lieu entre les enjeux économiques et stratégiques dans la région. Pour la France cet échec lui permet d’éviter de s’inclure dans une stratégie conflictuelle que semble prôner l’anglosphère et présente une nouvelle opportunité. Cette opportunité se traduit en la restructuration de l’approche française dans l’Indo-Pacifique, qui ne possède pas à elle seule la capacité d’appliquer sa politique sécuritaire dans la région. Un accompagnement de l’Europe en Indo-Pacifique suivi par un investissement dans les régions où une implication moindre est constatée telles que l’Asie centrale et l’Iran permettraient de pallier ce manque de moyen. L’objectif est de rééquilibrer les relations des diverses nations européennes avec la Chine et d’effacer cette approche candide qui caractérise notre rapport avec ce pays.
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