Guerre & Eau
Henri de Grossouvre versus Franck Galland
Moderateur : Dinah Louda
L’eau a toujours joué un rôle clé dans les communautés humaines. Afin de satisfaire ses besoins, l’Homme à travers les âges s’est toujours installé non loin de l’eau, que ce soit pour des raisons sociétales, agricoles ou industrielles. De nos jours, la problématique de l’eau est un vaste sujet divisible selon deux axes principaux. Le premier est la dimension géopolitique et géostratégique, dans laquelle l’eau est considérée en tant que ressource nécessaire à la vie et à la société moderne. Le second est la dimension géographique sur laquelle les diverses stratégies sécuritaires des nations du monde sont opérées. Le débat s’est articulé le long de ces deux axes : l’eau, ressource inégalement exploitée et l’eau en tant que moteur diplomatique et source de conflit.
Une ressource inégalement distribuée et exploitée
L’eau est une ressource inégalement distribuée à travers les différentes régions du monde. La France par exemple possède environ 177 milliards de mètres cube d’eau renouvelable annuellement et en consomme 35 milliards mètres cube. Avec 3200 mètres cube d’eau par an et par habitant, les français sont loin de la limite de 1700 mètres cube d’eau synonyme de stress hydrique. De l’autre côté de la Méditerranée, les pays sud et est méditerranéens sont confrontés à des situations de stress hydrique importantes. Cette « diagonale de la soif » démarre de Tanger, traverse l’Afrique du nord et s’entend jusque dans la zone Indo-Pakistanaise. Plus au sud, les pays constituant le G5 sahel, possèdent une population de 150 millions d’habitants qui devrait doubler dans les vingt prochaines années, ont observé une baisse de 40% de leurs ressources en eau entre 2000 et 2021. Certains pays de ces zones particulièrement fragiles ne sont toutefois pas touchés par cette problématique de stress hydrique. Le Maroc, pays qui suite à la politique de construction de barrage menée par Hassan II à partir de 1967, a vu ce type de construction se multiplier dans le royaume, passant de 16 à 100 barrages en 1997. Cela a permis de répondre aux enjeux de la production agricole et de la croissance économique au Maroc. Au contraire, l’Algérie se retrouve avec des pénuries d’eau. Les raisons sont multiples, changement climatique, incurie gouvernementale et non concrétisation de décisions politiques préalablement prises. Un peu plus à l’est, les pays qui ont subi les conséquences du printemps arabe (de la Tunisie à la Syrie), souffrent de mauvaises infrastructures en eau. La Syrie en particulier, compte tenu des conflits importants sur son territoire, a connu la destruction d’une large partie de ses infrastructures hydrauliques, péjorant les problèmes d’eau déjà présents dans le pays. De la même manière, le Yémen que l’on nommait l’Arabie Heureuse souffre d’un déficit en eau. Ceci est dû à la fois, à la production de khat qui nécessite une consommation massive d’eau représentant 50% des dépenses hydrique du pays et à cause de la destruction des infrastructures hydrauliques visées dans le cadre du conflit dans lequel l’Arabie Saoudite fait face aux Emirats Arabes Unis et l’Iran. Le ciblage systématique des infrastructures hydrauliques fait qu’environ 20 millions de yéménites n’ont pas accès à l’eau potable. Plus récemment, le Liban qui ne connaissait pas de problème en termes de ressource hydrique se trouve aujourd’hui dans une situation délicate ayant pour origine le pompage anarchique de l’eau causé par une absence de gouvernance ayant endommagé les nappes phréatiques.
La situation dans cette diagonale de la soif est inquiétante car elle provoque de grands mouvements migratoires et mène à de nombreux décès, à tel point que le manque de production agricole causé par ce déficit en eau cause plus de décès que les conflits armés pourtant présents dans ces régions. Afin que des solutions puissent être apportées, de la stabilité est nécessaire dans les pays faisant partie de la diagonale de la soif. Cette stabilité permettrait la mise en place des infrastructures nécessaires afin d’assurer l’exploitation et la distribution de l’eau, que ce soient des stations d’assainissement ou des centrales électriques. Il faut beaucoup d’eau pour produire de l’énergie et beaucoup d’énergie pour obtenir de l’eau. En effet, 20 % de l’électricité mondiale est consommée dans le but d’extraire l’eau souterraine et de la transporter.
L’eau moteur de diplomatie et de conflit
L’importance et la rareté de cette ressource nommée or bleu mènent inévitablement à des tensions interétatiques et intraétatiques, avec différents acteurs qui cherchent à acquérir une autonomie totale en la matière. La Chine est l’exemple le plus remarquable concernant la recherche d’une autonomie en eau. La région nord et nord-est de la Chine détient seulement 15 % des ressources hydriques du pays tandis qu’elles représentent 45 % de la population chinoise, menant à des situations de stress hydrique dans la capitale. La stratégie chinoise, consistant à approvisionner le poumon décisionnaire et industriel du pays, a mené à l’établissement de grands travaux dérivant les eaux du sud vers le nord. Cette dynamique laisse supposer un éventuel détournement des rivières qui prennent source au Tibet, ce qui inquiète depuis quelque temps les pays du sud, notamment l’Inde. Ce potentiel danger a mené à une évolution de la doctrine militaire indienne, qui adopte une posture lui permettant de mener un conflit à haute intensité sur deux fronts, un chinois et un pakistanais. De la même manière, le Vietnam, nourrissant une rivalité ancestrale avec la Chine, est inquiet de l’hydro politique chinoise, consistant en l’installation de barrages sur le Mékong ; non seulement dans le territoire chinois mais aussi en Birmanie, au Cambodge et au Laos. Ces évènements encouragent un rapprochement entre les adversaires de la Chine tels que les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et le Vietnam, menant à une montée des tensions dans la région. Des situations similaires se présentent autour du globe, avec notamment l’installation des barrages turcs sur le Tigre et l’Euphrate aux dépens de l’Irak et la Syrie et les barrages Ethiopiens sur le Nil.
L’acquisition des ressources en eau mène aussi à des tensions intraétatiques. Les ressources en eau de certains pays comme l’Irak et la Syrie ont été captées par des individualités comme Saddam Hussein et Bachar el-Assad afin d’asseoir leur pouvoir et d’asservir les masses. On peut parler dans ce cas de despotisme hydraulique. Malgré un bilan des tensions interétatiques inquiétant concernant l’eau et son utilisation, des solutions diplomatiques existent, avec quelques exemples notables mis en place depuis des décennies. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) regroupant la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal démontre que des solutions diplomatiques sont possibles. Cette démarche couronnée de succès a permis au Sénégal une plus grande prise de position sur l’hydro politique et a permis de démarrer un dialogue au sein de l’ONU au sujet de l’eau. Certains États possèdent d’autres moyens d’acquérir une autonomie hydrique. Israël était une nation possédant peu de ressources hydriques, mais avec la forte réutilisation de ce que l’on nomme les eaux grises (les eaux usées domestiques faiblement polluées), se retrouve complètement indépendante. 87 % des eaux usées sont donc recyclées en Israël, faisant de cette nation un lointain premier distançant une Espagne figurant deuxième avec seulement 20 % de recyclage de ce type d’eau. Une autre solution est le dessalage, dont le prix ne cesse de décroitre et au faible coût écologique, de l’eau de mer qui peut être consommée ou réinsérée artificiellement dans les nappes phréatiques. L’Arabie Saoudite dessale 7,5 millions de m3 d’eau de mer par jour. L’eau ne représente pas seulement une ressource aux yeux des États, mais aussi un territoire à acquérir et protéger. Un pays tel que la France possède la plus grande zone économique exclusive du monde et se doit d’établir une stratégie conforme à sa taille et à ses moyens.
L’eau est un vaste sujet qui prend depuis longtemps une place importante dans nos sociétés. Aujourd’hui, la croissance de la population humaine, accompagnée par la raréfaction des ressources hydriques naturelles et renouvelables mènent à l’appropriation des ressources naturelles en eau par les États, conduit à un accroissement des tensions sur la scène internationale. Ces inégalités mènent à des situations de stress hydrique avec 3,5 milliards d’individus en situation de pénurie hydrique, dont 2,1 milliards qui n’ont pas accès à l’eau potable. Des solutions, qui ont été mentionnées au préalable existent, mais nécessitent une combinaison de facteurs qui est parfois difficile à obtenir : le temps, la stabilité et l’argent. Sur la scène internationale, la France et l’Europe possèdent une grande avance dans le domaine de la diplomatie environnementale de par ses standards juridiques et son modèle bruxellois, qui est aujourd’hui la référence à suivre. Avance de plus en plus pertinente et qui permettrait à ces nations de combler leurs lacunes dans les autres secteurs stratégiques en menant la charge sur celui-ci.
The KitSon
Le KitSon est un groupe de réflexion indépendant qui cherche à promouvoir le rapprochement des cultures. En savoir +