Où va la relation transatlantique?
avec le Dr Alexandra de Hoop-Scheffer et Jeff Hawkins
(modérateur Général Dominique Trinquand)
La victoire de Joe Biden lors des récentes élections présidentielles, accompagnée de sa volonté de former une « alliance des démocraties » a réinitié le débat autour du lien transatlantique et de son avenir. Ce débat tourne autour de trois axes de réflexions, le premier concernant le rapprochement des Etats-Unis vers l’Europe, le deuxième mentionne la dimension intra-américaine du débat tandis que le troisième s’attarde sur le besoin d’évolution de cette relation et de l’Europe.
Un retour des Etats-Unis avec un agenda bien précis
« America is back », voilà le slogan principal de l’administration Biden, faisant référence à son rapprochement de l’Europe et plus précisément du lien transatlantique. En effet, il est important de voir à quel point le nouveau président américain rompt avec les démarches de son prédécesseur en replaçant les alliances au cœur de la politique étrangère américaine. La multiplication des formats de coopération, à travers l’OTAN ou l’Union Européenne, l’exploitation de l’E3 (Allemagne, France, Royaume-Uni) et du QUAD (Australie-Inde-Japon-USA) permet de discuter des sujets stratégiques et des enjeux globaux. On peut ajouter à cela un réinvestissement des relations bilatérales avec l’Allemagne, échangeant sur des sujets économiques, politiques mais aussi diplomatiques avec un intérêt particulier pour la situation en Ukraine, faisant preuve de continuité avec l’administration Obama.
L’Amérique est donc de retour et présente un agenda très précis selon trois axes majeurs qui visent à la gestion de problématiques telles que la COVID-19, la Chine et le climat.
Le premier axe se décline en deux aspects, le premier étant « la politique étrangère pour la classe moyenne américaine », cadre qui façonne toutes les décisions concernant la politique étrangère américaine sous l’administration Biden et qui cherche donc à déterminer les bénéfices et le coût que les actions des États-Unis auront pour le contribuable américain. Le deuxième cherche à implémenter le « nation building at home », politique initiée par Obama et voulant être aujourd’hui une réponse face au défi sanitaire et aux tensions raciales au sein des Etats-Unis.
Le second axe de cet agenda, est un prolongement de la posture adoptée par le gouvernement Trump concernant la République Populaire de Chine. En effet la montée en puissance de l´Empire du Milieu est perçue comme le principal défi géostratégique des Etats-Unis dans les années à venir. Cette perception de la Chine en tant que menace militaire importante à l’échelle globale cherche à être imposée à l’Europe tout entière qui, mis à part la France et le Royaume-Uni, ne partage pas encore cette vision de la Chine.
Le troisième axe qui s’avèrent être le plus problématique est le retour du discours américain à propos de l’alliance des démocraties. Ce désir de promotion de la démocratie qui devait permettre de faire face aux régimes autocratiques avait disparu à cause d’échecs comme celui connu en Irak. Il est difficile de remettre en place un tel discours à cause de la perte de légitimité des Etats-Unis compte tenu du bilan de sa politique étrangère et des défaillances de son propre modèle démocratique. C’est pour cela qu’il y a un véritable désir de dialogue entre l’administration Biden et l’Europe afin d’effectuer un travail d’introspection sur le sujet de la démocratie et de réflexion sur la résilience du modèle démocratique.
America is back… but for how long? Un débat intra-américain sur sa vision du monde
La fin de la présidence de Donald Trump marque un moment de soulagement pour l’alliance transatlantique, qui a connu des années difficiles mais a démontré l’existence d’un problème provenant des Etats-Unis.
La victoire de Biden, met en exergue une réalité. La minorité qui voulait un second mandat pour Donald Trump est en réalité numériquement très importante. Bien que les deux candidats présentent des points communs, notamment au niveau de leur slogan de campagne (Make America Great again pour Trump et America is back pour Biden), faisant allusion à un passé glorieux, ils représentent une vision des Etats-Unis fondamentalement différente. Cette division, qui outrepasse le clivage entre Républicains et Démocrates, représente plutôt une volonté de rupture entre l´administration actuelle et le Trumpisme.
Cette divergence idéologique peut conduire à des difficultés pour le président américain qui devra s´adapter aux résultats des importantes élections de la chambre des représentants et du Sénat en 2022. On peut aisément supposer que la perte de l’une ou des deux chambres limiterait la capacité de Biden à concrétiser sa vision des Etats-Unis et à donner le rôle qu´il souhaite pour son pays sur la scène internationale. De la même façon, les prochaines élections présidentielles en 2024 peuvent mener à un retour à la tendance protectionniste et isolationniste et peut-être même à un retour de Trump.
Quoi qu´il en soit, et malgré les oppositions importantes entre le Trumpisme et l´administration actuelle, le Président Biden doit conserver une part de l´héritage laissé par Trump, afin de préserver une continuité qui lui permettrait d´obtenir une fois de plus la faveur d´une majorité des américains pour les élections à venir.
Vers un besoin d’évolution du lien transatlantique et de l’Europe
Les quatre années de mandat de Trump ont exacerbé le débat européen sur l’autonomie stratégique et sur la souveraineté, sans pour autant mener à des résultats satisfaisants. Le départ du Royaume-Uni du cadre européen a souligné les limites du couple franco-allemand en tant que moteur de discussion d’une Europe stratégiquement indépendante. De l’autre côté de l’atlantique, la dévaluation du lien transatlantique a démontré le besoin de maintenir une approche multilatérale sur des sujets que l’Amérique ne peut aborder seule, que ce soit la Chine, la COVID-19 et le climat.
Ce rapprochement des Etats-Unis avec l’Europe est tout de même accompagné par des avertissements du président Biden. En effet, la perception de l’Union Européenne par les Etats-Unis en tant qu’acteur stratégique et géopolitique est sévèrement compromise. De récents incidents comme la visite de Borell à Moscou ou le Sofagate ne cessent d’accroitre cette tendance. Les attentes asymétriques, entre une Union Européenne désirant un engagement plus important de leur homologue américain et les Etats-Unis recherchant une Europe plus efficace et indépendante sont, elles aussi, une source de tension dans la relation transatlantique.
Malgré tout, les déclarations de l’administration Biden démontrent l’importance non seulement de maintenir le lien transatlantique mais aussi de le faire évoluer. Le lien transatlantique actuel n´est plus suffisant pour répondre aux grands défis internationaux du siècle. En atteste, certains revers comme ceux des interventions en Irak et en Afghanistan ou la mauvaise gestion de la crise sanitaire de la COVID-19.
D’autres acteurs tels que la Russie et la Chine permettent de revaloriser l’importance de l’aspect militaire et sécuritaire de l’alliance. Tous ces éléments servent d’incitation pour moderniser et élargir cette plateforme de coopération internationale, que ce soit en invitant d’autres pays ou en transformant ce format en une plateforme de coopération trilatérale transatlantique et transpacifique.
L’administration Trump a été une opportunité pour les européens de trouver un terrain d’entente à propos de la formation d’une Europe plus solidaire. Ainsi, si l´Europe accepte largement l´approche multilatérale que prône le président Biden, elle s´expose aux conséquences désastreuses que les élections américaines pourraient avoir si le résultat des votes menait à l´adoption d´une ligne plus isolationniste. Cependant, l’Union Européenne et les Etats-Unis partagent indéniablement des valeurs qui leurs sont communes qui se sont traduites au travers du lien transatlantique. Plus qu´une alliance militaire, l´aboutissement de cette relation profondément ancrée dans ces valeurs communes pourrait être la création d´une alliance politique.
Finalement, il faut se demander si le retrait des forces militaires des Etats-Unis d´Afghanistan marque le début d´un repli des Etats-Unis ou bien s´il ne s´agit que d´une page qui laissera place à une plus grande implication des Etats-Unis sur la scène internationale.
The KitSon
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