L’Espace est-il à vendre?
Jean-Marc Nasr versus Xavier Pasco
Modérateur: Gil Mihaely
D’abord, il convient de relever que l’Espace recouvre trois domaines : l’exploration habitée, l’espace infrastructurel, la militarisation de l’espace.
Le développement de projets privés, tels que ceux portés par Jeff Bezos, Richard Branson ou encore Elon Musk ne relèvent pas d’une vulgaire privatisation de l’espace. C’est une recomposition stratégique à partir de desseins étatiques.
Dans les années qui viennent, la relation Etats-Unis-Chine sera structurante pour tout ce qui concerne l’Espace compte-tenu des moyens financiers déployés par ces deux puissances. Dans ce contexte, l’Europe doit s’employer à rester souveraine. La France qui est particulièrement compétitive dans le domaine de l’espace va devoir céder un peu de sa propre souveraineté pour pouvoir s’appuyer sur l’Europe et faire face aux nouveaux défis politiques et technologiques à venir.
L’invasion de l’Ukraine rebat aussi les cartes de l’Espace. Personne n’avait anticipé cette situation. La rupture avec la Russie prive désormais les Européens du lanceur Soyouz mais aussi du lanceur Vega puisque l’usine ukrainienne qui fabriquait son moteur a été détruite. Même si le programme Ariane 6 a pris du retard, il offre une solution de rechange qui préserve l’indépendance stratégique de la France au travers de l’alliance franco-allemande du consortium Airbus Defence & Space.
Qui comme partenaire de l’Europe demain pour remplacer la Russie au sein des différents projets en cours ? L’Inde et les Emirats Arabes Unis ont bien développé des programmes mais ces deux pays ne sont pas en capacité de remplacer la Russie.
Aujourd’hui, le secteur est passé à une vision industrielle de l’espace avec deux pays qui dominent le marché : les États-Unis et la Chine. Au niveau technologique, un satellite est composé aujourd’hui à 80% de software. Ce qui implique un recrutement d’ingénieurs hautement qualifiés et un renforcement des capacités de cyber-protection des satellites. Il convient de souligner la place considérable prise par l’Espace dans le domaine des télécommunications. Aujourd’hui, on ne parle plus de World Wide Web mais de Space World Wide Web.
La question du contrôle de l’Espace devient centrale. Tout le monde a intérêt à ce que ça ne devienne pas un lieu d’affrontement. Il y a bien un traité qui a été signé en 1967, mais il n’est pas toujours respecté. D’ores et déjà, les Etats-Unis, la Russie et la Chine se livrent à de l’espionnage. Ce qu’il faut, c’est éviter des actes hostiles. Des destructions pourraient déboucher sur une catastrophe à cause des débris que cela pourrait projeter dans l’espace et notamment sur le parcours des satellites. Aujourd’hui, notre sécurité dépend de plus en plus d’un environnement que nous contrôlons de moins en moins.
Il y a quelques années, certains pays et certaines entités voyaient les lanceurs comme de simples ‘commodities’. Aujourd’hui, la dimension commerciale est reléguée au second plan. En revanche, la question de l’autonomie stratégique est devenue centrale. Les militaires soulignent qu’il n’y a pas de supériorité aérienne sans supériorité spatiale. Aujourd’hui, plus que jamais, l’accès à l’espace n’est pas négociable et il relève de choix purement politiques
Alain JOURDAN
Observatoire Géostratégique de Genève
The KitSon
Le KitSon est un groupe de réflexion indépendant qui cherche à promouvoir le rapprochement des cultures. En savoir +